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Histoire des séries et histoires en séries

Le cours public « …en séries… » du Centre interdisciplinaire d’étude des littératures (CIEL) de l’Université de Lausanne est consacré ce semestre d’automne 2019 au récit sériel et aux séries littéraires, cinématographiques et artistiques. En marge de ce cours public, les responsables de collection du site Unithèque vous proposent une sélection de documents sur le récit sériel et ses déclinaisons au fil des siècles, de l’Antiquité à aujourd’hui, d’Ovide à Game of Thrones, du roman-feuilleton aux franchises hollywoodiennes. Découvrez cette sélection thématique dans le catalogue Renouvaud, ainsi que sur le site Unithèque, accompagnée d’un choix de DVD de séries à Cinespace, du 8 au 22 octobre 2019.

Penser la sérialité comme phénomène transhistorique, transculturel et transmédiatique

Le succès spectaculaire des séries télévisées contemporaines, qui a débouché sur l’émergence d’une sériephilie contaminant la recherche académique, est venue transformer en profondeur notre regard sur le récit sériel. En 2014 déjà, la Section d’histoire et esthétique du cinéma de l’Université de Lausanne proposait un cours de Master entièrement dédié à la série télévisée contemporaine, avec des analyses portant à la fois sur des enjeux historiques, esthétiques et théoriques, mais également sur des questions relatives à la réception des séries TV via la presse, les blogs, les forums, etc.

Dans une perspective comparatiste, les séries télévisées contemporaines les plus prestigieuses relégitiment des pratiques aussi anciennes que la narration elle-même : mythes, légendes, récits bibliques, contes, cycles médiévaux, romans feuilletons et romans fleuves sont autant de productions culturelles qui font passer l’œuvre close et planifiée par un·e auteur·trice pour une singularité culturelle. Mais du soap opera à Perceval ou des douze travaux d’Hercule à Breaking Bad, il faut tenir compte des nuances infinies que prennent ces séries culturelles.

L’un des grands mérites des séries est de mettre en lumière la dépendance des œuvres vis-à-vis de leur contexte de production et de réception, et de souligner les propriétés de formes esthétiques partiellement improvisées, nous aidant ainsi à sortir de la fascination envers les structures stables et achevées. On remarque dès lors que le bricolage narratif peut aussi avoir ses qualités propres et que le plaisir que l’on tire des fictions « à la chaîne », pour reprendre la terminologie du comparatiste Matthieu Letourneux, n’est pas toujours celui d’une confortable répétition sans saveur du même.

Depuis que le cinéma, puis la télévision ont gagné leurs lettres de noblesse et sont devenus, au même titre que d’autres supports et moyens de communication, des objets de pensée théorique, les travaux académiques se sont multipliés. Dans le champ de la narratologie, les récits cinématographiques et télévisuels ont contribué à repenser le concept d’intrigue (Les rouages de l’intrigue) et à développer une théorie narratologique transmédiale (Sérialité et transmédialité). L’étude du personnage de fiction a été renouvelée, notamment par les recherches du sémiologue François Jost, lequel donnera le 4 décembre 2019, dans le cadre du cours public, une conférence sur les méchants des séries télévisées américaines contemporaines.

Séries littéraires et/ou séries télévisées ?

En inondant le marché médiatique mondial de séries, HBO ou Netflix ont poussé à son paroxysme le phénomène « la reproductibilité technique de l’œuvre d’art », théorisé dès 1935 par Walter Benjamin. On aurait pourtant tort de croire que le cinéma et la télévision ont inventé le récit sériel. Certes, Game of Thrones a généré – et génère toujours – une ferveur populaire sans nulle comparaison, mais la littérature n’est pas en reste.

Les séries télévisées contemporaines s’inscrivent, comme le montre Danielle Aubry, dans la tradition des publications épisodiques des 19e et 20e siècles, dont le roman feuilleton est l’une des expressions les plus abouties. Dans sa thèse de doctorat soutenue à l’Université de Lausanne en 2018, Anaïs Goudmand analyse de manière transmédiale l’expérience de la sérialité narrative, des Mystères de Paris d’Eugène Sue (1842-1843) à Downton Abbey (2010-2015). L’écriture et la réécriture des mythes au fil des siècles, comme les Métamorphoses d’Ovide, la prolifération des cycles au Moyen Âge, la vogue du roman fleuve de l’âge baroque et de l’âge classique, tel L’Astrée d’Honoré d’Urfé, le triomphe des cycles romanesques ou encore la publication et la diffusion massive des contes au sein de recueils, puis de revues, sont autant de déclinaisons de formes sérielles et d’invitations à lire en série(s). Le genre du roman noir se prête particulièrement à la narration sérielle, peut-être parce qu’il se fonde, en partie, sur des figures de tueurs en série, dont Henri VIII offre un exemple historique marquant.

Beaucoup de franchises, soap opera et séries télévisées à succès sont des adaptations de séries littéraires ou déclinent, en série, une histoire originellement représentée sous forme littéraire. Si l’intrigue de la série Game of Thrones, créée par D. Benioff et D. B. Weiss, suit relativement fidèlement celle de la saga romanesque de George R. R. Martin dont elle est adaptée, A Song of Ice and Fire, avant de progressivement la dépasser, d’autres séries, comme Once Upon a Time, s’inspirent plus librement d’une collection de comics américains, Fables, signée Bill Willingham.

L’influence des séries télévisées sur nos sociétés et cultures est telle aujourd’hui que certains auteurs et certaines autrices littéraires adoptent les codes de l’écriture scénaristique afin de créer de nouveaux feuilletons littéraires. Avec Stand-by, les auteurs et autrices romand·e·s Bruno Pellegrino, Aude Seigne et Daniel Vuataz remettent le genre du feuilleton littéraire sur le devant de la scène. Ils verniront la deuxième saison de leur opus en clôture du cours public, le 11 décembre 2019.

Pour approfondir la thématique ou simplement vous laisser emporter par un récit sériel, venez découvrir notre sélection de documents et de DVD à l’Unithèque, ou parcourez-la depuis chez vous à cette adresse. La suite au prochain épisode…

Joëlle Légeret
Responsable des collections de linguistique et langues modernes, BCUL site Unithèque