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Comment un dessinateur prend-il des notes ? Les carnets de Martial Leiter

Artiste bien connu pour la virtuosité de son trait, Martial Leiter est l’auteur depuis les années1970 d’une œuvre foisonnante aux nombreuses ramifications. Détenteur d’un diplôme de dessinateur technique, il se forme très jeune au dessin artistique en autodidacte. Fin connaisseur de l’histoire de l’art et observateur sans concession de la société, il a beaucoup publié dans les quotidiens suisses, allemands et français, mais il a également, très tôt, développé un travail d’artiste indépendant. Les deux pans de son travail évoluent parallèlement jusque dans les années 2000 – l’un, de l’ordre de la critique politique et sociale, s’exprime principalement dans la presse et s’arrête peu ou prou entre les années 2000 et 2010 ; l’autre, « libre », a fait l’objet de nombreuses expositions et publications et se renouvelle sans cesse, jusqu’à aujourd’hui, dans de multiples registres et techniques.

En décembre 2021, la BCUL a acquis, avec l’aide des Amis de la BCU Lausanne, un lot de 90 carnets d’esquisses de Martial Leiter représentant le cœur de son travail pour la presse, ainsi qu’un ensemble d’esquisses sur feuilles détachées. Ces esquisses préparatoires (1972-2016) sont la trace du mode opératoire du dessinateur et de la genèse de son œuvre. On y trouve l’annotation rapide ou plus développée de ses idées, principalement à l’encre noire, dans un registre parfois proche de la calligraphie. Ces carnets sont, pour leur auteur, un appareil de notes de l’ordre du manuscrit d’où émanent ses différents projets, un creuset auquel il est sans cesse revenu. Le trait libre et vif des esquisses tranche avec leur version finale imprimée dans les journaux, très structurée et faite de lignes et croisillons serrés. La critique a largement relevé la manière dont le « mode Raster » des dessins politiques de Martial Leiter, esthétiquement proche de la gravure classique, fait ressortir l’acuité et l’humour grinçant du propos.

Ce corpus manuscrit est accompagné d’une importante documentation qui permet de mieux comprendre et contextualiser les esquisses et l’évolution du travail de Martial Leiter : quotidiens, revues et journaux satiriques des années 1970 aux années 2010, bulletins, programmes, affiches et livres. La variété des publications révèle la diversité des collaborations éditoriales du dessinateur mais aussi son statut de franc-tireur refusant de faire part d’une quelconque rédaction et revendiquant un statut d’auteur insoumis parfois payé très cher. Parmi les publications les plus marquantes conservées dans les archives de Martial Leiter, on peut citer entre autres les couvertures de la revue Einspruch (1987-1991) fondée par Max Frisch et Alexandre J. Seiler, diverses collaborations avec le journaliste Niklaus Meienberg ou une carte blanche régulière pour Le Monde (1995-2002).

Le Fonds Martial Leiter (IS 5923), conservé au service des Manuscrits de la BCUL, a été classé, inventorié et reconditionné durant l’année 2022. Le traitement s’est fait en dialogue avec le dessinateur qui a transmis de nombreuses informations permettant de documenter ses archives et effectué plusieurs versements complémentaires. Le fonds est maintenant disponible à la consultation et son inventaire est accessible sur la plateforme Patrinum. En guise d’appât, trois carnets peuvent être feuilletés virtuellement – un invitation pour nos lecteurs à venir découvrir de leurs propres yeux un aspect jusqu’alors caché du travail d’un artiste renommé.

Caroline Recher