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Imaginer, écrire et lire des futurs possibles

Quel livre emporteriez-vous dans votre exil climatique ? Ou, plus sérieusement, de quelles manières les sciences humaines, et les disciplines littéraires en particulier, se saisissent-elles des enjeux liés à l’environnement, à la crise écologique et à la durabilité ? En quoi l’étude des littératures permet-elle de faire le point sur les dimensions sociales et symboliques des relations entre les êtres humains et leur environnement naturel ? Les récits de fiction peuvent-ils soigner, à défaut soulager, la solastalgie, ce sentiment de détresse nostalgique que l’on peut ressentir face aux mutations de la planète, ce sentiment à l’origine de l’éco-anxiété, nouveau mal du siècle ? En d’autres termes, la poésie est-elle apte à sauver le monde ?

Ces questions sont au cœur du cours public 2022 du Centre interdisciplinaire d’étude des littératures (CIEL), organisé en partenariat avec le Centre de compétences en durabilité (CCD) de l’Université de Lausanne. En marge de ce cours intitulé « Durabilittérature », nous vous proposons un choix d’œuvres éco-littéraires, de récits durables et d’études balisant les champs récents de l’écocritique et de l’écopoétique. Découvrez cette sélection thématique dans le catalogue Renouvaud, ainsi que l’exposition physique sur le site Unithèque du 26 septembre au 7 octobre 2022.

Récits et imaginaires de la durabilité

Le lancement, en 2019, du Centre compétences en durabilité (CCD), visant à développer l’interdisciplinarité et à poser l’Université de Lausanne en pionnière de la durabilité, a coïncidé avec la formulation de neuf chantiers à investir par les Facultés et les chercheurs∙euses. Sous la houlette de la collection académique de géographie et durabilité/écologie humaine, nous nous sommes saisis de ces chantiers comme autant de réservoirs afin de valoriser les ressources documentaires disponibles dans les rayons, physiques comme virtuels, de la bibliothèque. La mise à disposition, c’est également ce que requiert le premier des chantiers dégagés par le CCD, « Récits et Imaginaires », encore peu investi par les chercheurs∙euses en sciences humaines. Des initiatives de création, d’enseignement et de recherche existent pourtant et elles se multiplient chaque année, mais il leur manquait un lieu commun d’expression et de déploiement.

C’est ce lieu que souhaite offrir le Centre interdisciplinaire d’étude des littératures (CIEL), habitué depuis ses débuts à croiser les regards et les approches. L’intégralité de son programme 2022-2023 a été constitué dans une perspective éco-littéraire. Le cours public entend, prioritairement, mettre en lumière des récits alternatifs et habitables, propres à renouveler les imaginaires des futurs possibles et le rapport de l’être humain à la nature pour, d’une part, favoriser l’adhésion à des mesures de transition écologique, et, d’autre part, s’extraire d’une torpeur apocalyptique.

« C’est en effet aujourd’hui déjà que la littérature environnementale pense le monde de demain. » [Schoentjes 2020: 21]

Dans Après le monde (2020), Antoinette Rychner évoque d’autres façons d’habiter le monde et de faire communauté et société au-delà de l’effondrement. Dans une tonalité plus méditative, Anne-Sophie Subilia – qui partagera la scène avec Blaise Hofmann au cours d’une soirée littéraire organisée à La Datcha le 9 novembre 2022 – se demande comment rester humain∙e, autant individuellement que collectivement, dans la nature hostile des Neiges intérieures (2020). Ces deux romans contemporains, parmi d’autres, relèvent d’une littérature de fiction qui représente

un imaginaire destiné à construire de nouveaux liens avec le monde, que l’humain n’est pas seul à occuper. […] A une époque où l’action humaine fait peser des menaces sans précédent sur la vie sur Terre, les romans ont un rôle à jouer dans la recherche d’un nouvel équilibre. [Barontini/Schoentjes 2022: 104]

Ils attestent également d’une « conscience accrue de la rupture que l’action humaine détermine dans les équilibres de la biosphère » [Barontini/Schoentjes 2022: 96] et mettent en jeu l’idée d’ « anthropocène ».

De la géographie linguistique à l’écopoétique

C’est cette mise en jeu qui caractériserait la production éco-littéraire des trente dernières années, favorisée par un mouvement de popularisation de la cause écologique et le sentiment d’aller au-devant des temps extrêmes. Le site internet Literature.green, propulsé par l’Université de Gand, fait état de la richesse et de la diversité de cette production, tout comme le Prix du Roman d’Écologie (PRÉ), qui couronne depuis 2018 un∙e auteur∙trice francophone de fiction traversée par des questions écologiques. Ces questions ne se posent toutefois pas dans les mêmes termes selon les espaces – géographiques, culturels, linguistiques et génériques – qui les voient naître. Ainsi, les écritures postcoloniales (ou décoloniales) et/ou féministes ne sont pas animées des mêmes luttes puisqu’elles s’inscrivent dans des environnements faits d’interconnexions différentes.

Si l’espace est primordial dans l’étude des écofictions, le temps l’est tout autant et la littérature n’a pas attendu le vingt-et-unième siècle pour être à l’écoute des lieux. L’écocritique – ou l’écopoétique pour le domaine francophone – permet certes de revisiter des corpus anciens pour écrire une histoire littéraire et culturelle alternative et complémentaire, mais on doit se garder de qualifier des textes antiques ou médiévaux d’écocritiques sous peine d’anachronisme. La recherche conceptuelle établit une filiation entre la géographie linguistique, la géographie littéraire et la géopoétique, néologisme théorisé, entre autres, par Kenneth White pour désigner

une théorie-pratique transdisciplinaire applicable à tous les domaines de la vie et de la recherche, qui a pour but de rétablir et d’enrichir le rapport Homme-Terre depuis longtemps rompu, avec les conséquences que l’on sait sur les plans écologique, psychologique et intellectuel, développant ainsi de nouvelles perspectives existentielles dans un monde refondé. [www.printempsdespoetes.com/Kenneth-White]

Néanmoins, l’écologie n’est pas requise par le champ géopoétique, alors que ses représentations sont au fondement de l’ecocriticism (écocritique) d’origine anglo-saxonne, approche qui se développe à partir des années septante, et de l’écopoétique francophone qui en découle. L’écopoétique se distingue toutefois de l’écocritique par l’attention portée à la forme et aux modalités de mise en récit de la problématique environnementale (plus qu’à la problématique en tant que telle). C’est à la littérature en tant qu’art verbal que l’écopoétique s’intéresse plus qu’au message écologique ou militant que le texte véhicule.

Réparer l’eau, raviver l’eau

Un colloque scientifique est organisé à l’Université de Lausanne du 9 au 11 novembre 2022, toujours dans le cadre du programme éco-littéraire du CIEL. Répondant au cri d’urgence d’Olivier Rey pour Réparer l’eau (2021) et parce que l’eau cristallise les menaces qui pèsent sur les ressources planétaires limitées, ce colloque comparera les manières de raviver l’eau. Un concours d’écriture est par ailleurs lancé en parallèle sur cette thématique et les contributions sont attendues jusqu’au 20 octobre 2022. A vos plumes écopoétiques !

Cours public "Durabilittérature"
Colloque "Raviver l'eau"
Centre de compétences en durabilité (CCD)