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Malefica, démons et merveilles de la BCUL

Objets d’études académiques depuis plusieurs décennies à l’UNIL, les procès de sorcellerie connaissent un regain d’intérêt auprès du grand public. Dans ce contexte, la BCUL dispose d’un patrimoine qui mérite d’être (re-)découvert.

Nous vous proposons une série d’articles mettant en valeur les traités de chasse aux sorcières et de démonologie qui hantent la Réserve précieuse. Nous nous intéressons à l’histoire matérielle de ces ouvrages et notamment à leur cheminement jusqu’aux dépôts de la BCUL. Le premier article porte sur le plus célèbre texte de la chrétienté en la matière, le Malleus maleficarum.

Le Malleus maleficarum et son époque

De la fin du XVe au début du XVIIIe siècle, une importante production d’écrits démonologiques se développe en Europe. Elle intervient dans un contexte historique en mutation. 

Durant plusieurs siècles, dans les campagnes comme dans les villes, l’imaginaire occulte fait partie intégrante du paysage social. Dès le XIIIe siècle, ébranlée par les mouvements de contestations qui la remettent en cause, l’Eglise se dote de pouvoirs de persécutions étendus contre des minorités et toute forme de marginalité. Après les cathares, les vaudois et les juifs, elle ajoute à sa liste de criminels contre la foi, les sorciers et les sorcières. Finit par émerger une croyance selon laquelle la sorcellerie, en tant que réalité matérielle, représente un danger majeur à éradiquer. Les personnes désignées comme ayant recours à ces pratiques sont poursuivies par l’Inquisition, puis par la suite par des juges séculiers. La chasse aux sorcières, devenue un phénomène de masse, mène à l’exécution de plusieurs dizaines de milliers d’individus

Dans l’exercice de leurs fonctions, les pouvoirs ecclésiastique et judiciaire se réfèrent aux écrits des démonologues qui foisonnent à la fin du XVe siècle. Une rupture de pensée par rapport au discours religieux et philosophique médiéval émerge et se propage rapidement malgré la diversité des contextes culturels et idéologiques.

Une somme démonologique et ses auteurs

Dans la continuité des grands traités scolastiques, le Malleus maleficarum (Marteau des sorcières) a été rédigé à l’aube de l’imprimerie. Il est le premier traité de démonologie à connaître une distribution de masse. Mosaïque de toutes les connaissances antérieures accumulées en matière de sorcellerie, d’écrits théologiques et de procédures judiciaires, le livre est souvent qualifié de best-seller de l’époque. Le nombre d’exemplaires en circulation à travers l’Europe est estimé à environ 30’000. Rédigé en 1486 et publié l’année suivante, sa réédition à 34 reprises jusqu’en 1669, témoigne de son aura et son influence considérable.

Tous deux dominicains, les auteurs Henry Institoris et Jacques Sprenger ont officié en tant qu’inquisiteurs. Le premier, Alsacien de naissance, théologien de formation, est considéré comme le contributeur principal du texte. Le second, originaire de la région bâloise, universitaire, membre du clergé, a surtout œuvré dans la vallée du Rhin. 

Malleus maleficarum, 1494. Cote INC III-18, p. LVIII, BCU Lausanne BCU Lausanne

Finalité et originalité du texte

Cet ouvrage marque un tournant dans le paysage de la démonologie érudite.  A destination de théologiens, prédicateurs et magistrats laïcs ou religieux, le Malleus vise à convaincre intellectuellement et émotionnellement son lectorat. Le texte se veut également un manuel au service d’une justice efficace dans sa lutte contre l’hérésie démoniaque. Si la trame de l’œuvre qui reprend les codes des traités médiévaux ne représente pas une nouveauté, son originalité réside dans le message qu’il délivre. Un monde face à une menace imminente, organisée et considérable qu’il convient de combattre par tous les moyens dans lequel il n’est plus possible de douter de l’existence physique des démons.

Si le sujet vous intéresse, ne manquez pas la suite de cet article qui sera publiée prochainement. Nous vous présenterons un exemplaire du Malleus maleficarum de 1494 présent à la Réserve précieuse de la BCUL.

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[1] Viallet, Ludovic. La grande chasse aux sorcières : histoire d’une répression : XVe-XVIIIe siècle. Armand Colin, 2022, p. 5.

[2] Henry Institoris & Jacques Sprenger, Le marteau des sorcières : Malleus maleficarum, traduit du latin et précédé de l’inquisiteur et ses sorcières par Amand Danet, éd. Jérôme Millon, Grenoble, 2017, p. 12.

[3] Jacques-Lefèvre, Nicole. Histoire de la sorcellerie démoniaque : les grands textes de référence. Honoré Champion Éditeur, 2020, p. 58.

[4] Sophie Houdard, Les sciences du diable : quatre discours sur la sorcellerie, Paris : Cerf, 1992, p. 30.