Ecotopiales 2025 : portraits d’invité·e·s 2/2
A l’occasion du festival Ecotopiales 2025 la BCU Lausanne a souhaité recueillir les témoignages de quelques personnes invitées du festival. Voici la suite de leurs réponses et avec elles de quoi donner des pistes à chacun et chacune d’entre nous dans nos relations avec le Vivant.
Nathalie Blanc – Géographe
Mon lien au vivant est celui d’une jardinière attentive au moindre signe de bien-être de ses plantes sur son balcon parisien. Le vivant vous permet de vérifier votre capacité à faire vivre, à intervenir positivement dans le monde. La plante en bonne santé est un témoignage d’une main verte. Le vivant est aussi une source infinie de beauté, d’extase. Il suffit de voir de nombreux documentaires sur l’extraordinaire plasticité et inventivité du vivant à travers l’évolution. Je pense que nous pleurerons quand les dernières baleines auront disparu, ou même de si nombreuses espèces d’insectes, car leurs formes – ce que leur esthétique donne à voir, à comprendre – seront à jamais perdues.
Gérald Hess – Philosophe et chercheur en éthique environnementale
Ce qui pour moi, nourrit mon lien au vivant est l’attention à l’expérience que j’en fait, à travers diverses activités comme la randonnée en montagne ou le travail d’équitation avec mon cheval. Cela me permet de confronter à l’altérité, de prendre conscience d’une réalité qui était déjà là avant que j’existe et qui sera encore là après ma mort. Ce qui m’étonne également, c’est la résilience du vivant pour peu que l’humain le laisse s’épanouir, au lieu de chercher à le dominer coûte que coûte. De nombreuses études montrent qu’un écosystème perturbé par des activités humaines, par exemple, peut très vite se régénérer dès lors qu’on le protège de ces activités. C’est cette résilience qui me permet d’imaginer, malgré l’époque anxiogène que nous vivons, la possibilité d’un futur habitable et désirable sur Terre.

Marine Yzquierdo – Avocate et directrice de la commission Droits de la Nature au barreau de Paris
Agir au quotidien pour défendre l’environnement et reconnaître des droits de la nature. En tant qu’avocate, j’ai créé une commission Droits de la Nature au barreau de Paris afin de sensibiliser et former les avocats à ce nouveau droit. Avec des universitaires, j’ai également initié un think tank, le Cercle des juristes sur les droits de la Nature, afin de réfléchir collectivement à l’opérationnalisation des droits de la nature dans le cadre juridique français.
Céline Cerny – Écrivaine
Les choses les plus simples me relient au vivant, en particulier le soin des plantes. J’ai la chance de partager un petit jardin avec mon amoureuse, au pied de notre immeuble, je suis émerveillée par la puissance du règne végétal. Imaginer un futur meilleur n’est pas une notion qui me parle beaucoup. Mais j’aime l’idée de redécouvrir et de chérir des savoirs anciens, en lien avec les différents règnes (minéral, végétal, animal) et de les mettre au service de mes enfants, de mes proches, avec l’idée bien commun. Je crois aux savoirs partagés.
Antoine Jaquier – Écrivain
À ce stade, le Vivant m’oblige. Il n’y a que cela qui compte. Être bienveillant envers mes semblables, déjà. Puis il y a les animaux avec qui j’ai la chance d’être en empathie, et donc de souffrir avec, depuis l’enfance. M’en entourer et éviter au maximum de participer à leur exploitation est un point de départ. En prendre soin est encore mieux. Le végétal est l’autre pan du vivant vis-à-vis duquel je m’efforce de témoigner le plus grand respect. L’empathie à son endroit n’est pas innée chez moi alors je m’impose une discipline. Je m’y intéresse et m’informe de ses subtilités. Je le pratique et m’y immerge. Ce faisant, très vite je m’émerveille et des sentiments se développent en moi.
Le futur meilleur je l’envisage parfois dans l’engagement des militant·es. Dans l’action de celles et ceux qui prennent des risques malgré l’impossible résolution d’une équation incluant capitalisme et amour. Je le vois comme L’inaccessible étoile de Jacques Brel ou le Graal dont la quête honore les Chevaliers au cœur pur.
Nathalie Dietschy – Professeure d’histoire de l’art contemporain
De manière générale, porter une attention à ce qui m’entoure et garder un œil curieux et émerveillé. Le photographe Olivier De Sépibus, qui photographie les glaciers alpins depuis une vingtaine d’années, explique qu’il « scrute » les glaciers dans un rapport de réciprocité. Cet œil, à la fois humble et concentré, qui va à la rencontre de notre environnement, m’inspire.
Arthur Billerey (écrivain et poète)
Je nourris mon lien au vivant avec les forêts de Franche-Comté. Elles sont profondes et la vie y est pulsante partout, pour paraphraser Alexandre Voisard, jusque dans le moindre interstice d’écorce.
Nathalie Blanc – Géographe

J’ai eu l’opportunité de descendre dans les égouts, avec les égoutiers, quand je faisais mon enquête sur les rats et quelques rats sont venus à notre rencontre alors que nous ne disposions que d’une lampe frontale. J’ai vu alors, dans le faisceau de lumière, un rat se lever sur ses pattes arrières et me regarder. « Dr Livingstone, I presume ? », j’ai pensé, bizarrement car les situations évoquées avec cette phrase, n’ont rien à voir avec le moment que je vivais. Cependant, j’étais en terre étrangère et j’allais à la rencontre d’un habitant du coin.
Gérald Hess – Philosophe et chercheur en éthique environnementale
Il y a beaucoup d’expériences qui me relient au vivant. Elles sont souvent banales: l’expérience de la pluie sur le visage lors d’une balade en forêt, le vent froid qui assaille tout le corps lors d’une descente à ski, etc. Ce qui ressort, c’est que les expériences de lien au vivant sont des expériences au cours desquelles on devient conscient de notre propre corporéité: nous sommes essentiellement corps et nous avons toujours tendance à l’oublier tant notre existence se déroule la plupart du temps à un niveau « mental », celui institué par le langage, la pensée, la technique, la culture, le monde virtuel crée par l’informatique, etc.
Marine Yzquierdo – Avocate et directrice de la commission Droits de la Nature au barreau de Paris

Lorsque je suis intervenue à la première édition du festival Agir pour les glaciers, à l’invitation du glaciologue Jean-Baptiste Bosson. Nous étions au pied des glaciers et c’est en me retrouvant face à eux que j’ai vraiment pris conscience de l’importance de se battre pour sauver ces géants de glace.
Céline Cerny– Écrivaine
Chaque fois que je vais dans la forêt, je me sens reliée à tout ce qui m’entoure. C’est une sensation que je connais depuis l’enfance, une forme d’appartenance. C’est un sentiment de sécurité mêlée d’inquiétude, car être reliée au vivant et avoir l’intuition d’appartenir à un univers saturé de vies, où tout est en lien, ne garantit pas toujours d’être saine et sauve.
Antoine Jaquier– Écrivain
Ce que nous partageons de manière irréfutable avec le reste du Vivant, c’est la mort.
La perte d’un proche et la conscience de ma propre finitude me ramènent de manière poignante à mon appartenance au Vivant et au cycle de naissance et de mort qui s’y rattache. Plantes et animaux, nous ne faisons que passer.
Nathalie Dietschy – Professeure d’histoire de l’art contemporain
Ce sont des moments très simples, dans le jardin par exemple, les mains dans la terre. Mais cela peut aussi être un texte dont les mots me transportent, une œuvre d’art ou une musique qui me décentre.
Arthur Billerey (écrivain et poète)
Je crois que les expériences qui nous lient le plus au vivant surviennent dans les cas tristes de maladie ou de mort. La société de vitesse dans laquelle nous sommes nous fait oublier notre vulnérabilité. Quand nous perdons un amour, un être cher, un membre de notre famille, n’importe quelle personne qui compte, nous nous sentons ramené à la vie quelques jours et remettons de l’ordre, ravivons notre éphémérité, souhaitant ne plus oublier à l’avenir que nous sommes simplement de passage et que nous ne faisons que passer.
Nathalie Blanc – Géographe
Never home alone, un livre de Rob Dunn ou encore le film syrien très dur Eau argentée de Wiam Simav Bedirxan et Ossama Mohammed, où l’on voit les animaux blessés errer en temps de guerre. Black Dog un film chinois de Hu Guan, aux bords du désert de Gobi, est également la peinture d’un très beau rapport à l’animal, ainsi que Éo du réalisateur polonais Jerzy Skolimowski.
Gérald Hess – Philosophe et chercheur en éthique environnementale
Le film « Demain » de Cyril Dion et Mélanie Laurent, sorti en 2015. C’est l’un des rares films dit « écologistes » qui prône une écologie désirable, non punitive, ambitieuse, à la fois responsable et engageante en ouvrant sur un avenir à façonner ensemble.
Marine Yzquierdo – Avocate et directrice de la commission Droits de la Nature au barreau de Paris
Le projet « Vers une internationale des rivières » porté par l’Institut d’Etudes Avancées de Nantes et coordonné par Camille de Toledo, auteur du livre « Le fleuve qui voulait écrire« . Le prochain temps fort aura lieu le 29 novembre 2025 à Nantes.
Céline Cerny– Écrivaine
J’ai été passionnée par le livre de Nastassja Martin, À l’est des rêves. Réponses even aux crises systémiques (Les Empêcheurs de penser en rond, 2022).
L’anthropologue nous emmène au Kamtchatka à la rencontre d’un collectif Even qui, après avoir été sédentarisé dans des fermes collectives sous le régime soviétique, fait le choix de repartir en forêt. Il faut savoir que les Even sont un peuple nomade, éleveur de rennes.
Vivre dans la forêt, ce n’est pas seulement regagner une autonomie grâce à la chasse et la pêche, c’est aussi renouer les liens avec les animaux et avec le vivant, à travers les rêves notamment.
Pour plonger dans cette lecture, il faut accepter d’emboîter le pas de Nastassja Martin, de se départir de notre vision de l’environnement, de notre rapport aux autres règnes encore une fois, de s’ouvrir à une forme d’altérité. Se laisser aller dans la découverte d’une autre manière d’être au monde. Une telle expérience passe aussi par la découverte de nouveaux récits.
Antoine Jaquier– Écrivain
L’essai Sapiens, une brève histoire de l’humanité, de Yuval Noah Harari, pour nous rappeler qui nous sommes et d’où nous venons.
La bédé Le Monde sans fin, de Jean-Marc Jancovici, pour faire le point de la situation de notre relation à la planète.
L’essai Ce que murmurent les animaux, de Virginia Markus, pour intégrer qu’il est impossible de dire que nous aimons les animaux et les manger ensuite.
Nathalie Dietschy – Professeure d’histoire de l’art contemporain
Je recommande les romans de Jón Kalman Stefánsson, notamment Ton absence n’est que ténèbres, dans les liens qui se tissent entre les terres d’Islande et les personnages. J’apprécie la langue de l’auteur, le rythme qu’il déploie, et la poésie qui s’infiltre à chaque page : « Celui qui n’est jamais sorti en août sous la clarté de l’astre de la nuit quand les montagnes n’ont plus rien de terrestre, que la mer s’est changée en miroir d’argent et les touffes d’herbe en chiens endormis – celui-là n’a jamais vraiment vécu et il faut qu’il y remédie ». (Ásta, p. 247)
Arthur Billerey (écrivain et poète)
Je recommande toujours le recueil du poète Jean-Claude Pirotte : Ajoie.