Ecotopiales 2025 : portraits d’invité·e·s 1/2
A l’occasion du festival Ecotopiales 2025 la BCU Lausanne a souhaité recueillir les témoignages de quelques personnes invitées du festival. Voici leurs réponses et avec elles de quoi donner des pistes à chacun et chacune d’entre nous dans nos relations avec le Vivant.
Marcel Barelli – Réalisateur d’animation et auteur
Mon lien au vivant se fait surtout par la connaissance. J’aime lire le plus possible sur des thèmes en lien avec la biodiversité, la nature, les animaux, et notre responsabilité vis-à-vis de tout ça. Je pense que de la connaissance naît la prise de conscience. Ceci nous aide aussi à redéfinir notre place au sein du vivant, avec modestie. Comme disait Gramsci, unir « le pessimisme de la réalité à l’optimisme de la volonté » permet d’aller de l’avant.
Antoinette Rychner – Écrivaine et dramaturge

À vrai dire, je suis pessimiste quant au futur. Face aux dégradations du système-terre, je ne suis pas convaincue que l’espèce humaine ait un avenir, à moyen ou même à court terme.
Pourtant, mon roman montre des sociétés humaines vivant de manière très “low-tech”, dans des écosystèmes en bonne santé, à une époque indéterminée qu’on pourrait prendre tout aussi bien pour un lointain passé qu’un lointain futur. Cette ouverture laisse donc imaginer qu’une partie au moins de l’humanité aurait survécu, et serait suffisamment revenue de ses idéologies pour permettre aux milieux naturels de se réparer…
Timothée Parrique – Chercheur en économie écologique
En tant qu’économiste de l’environnement, je travaille avec le vivant tous les jours et, honnêtement, il est de plus en plus difficile d’imaginer un futur meilleur quand on observe les tendances actuelles. La vérité est d’une violence inouïe : nous sommes en train de détruire la biosphère, une infrastructure fondamentale sans laquelle aucune économie n’est possible. Pour sortir de l’impasse, il va falloir réencastrer l’économie dans la logique du vivant, adapter sa taille et son rythme en fonction de la biocapacité des écosystèmes, et mettre en cause la relation toxique que nous avons avec le reste du monde du vivant.
Joëlle Salomon Cavin – Professeure d’écologie urbaine

Le simple fait de me remémorer un paysage de montagne familier et les moments que j’y passe me réconforte. Mais cela n’est pas suffisant et je suis finalement assez pessimiste sur le futur des humains et de quantités d’espèces qui disparaissent dans le cadre de la 6e extinction. Ce qui peut peut-être consoler est de se dire que la Nature s’en tirera sans nous. Le vivant pourra toujours rebondir. Je ne pense pas que la Nature soit particulièrement « vertueuse » … elle est simplement. Elle profite et s’insinue dans chaque brèche que les humains créent et ce n’est d’ailleurs pas toujours à notre bénéfice.
Olivier Hamant – Biologiste et biophysicien

Paradoxalement, c’est le monde de plus en plus fluctuant qui me rend à la fois optimiste et lié au vivant. C’est dans l’incertitude que l’on se sent vivant, et c’est dans l’incertitude que le culte de la performance, de l’optimisation, et donc d’une certaine violence se dérobe. Le futur sera robuste, comme le vivant.
Claire Galloni D’Istria – Biologiste et chercheuse en anthropologie visuelle

Mon métier. Je suis anthropologue visuelle et biologiste, j’explore les renégociations entre humains et non-humains dans une perspective posthumaniste. Ces derniers englobent la faune sauvage et domestique ainsi que la montagne, et sont des acteurs qui co-construisent l’espace alpin, un territoire au cœur de transformations rapides et profondes. Pour cela, je mobilise la photographie et le son dans une démarche d’anthropologie multimodale, tout en tout en développant une pratique artistique largement exposée dans des galeries d’art et musée.
Marcel Barelli – Réalisateur d’animation et auteur
Cela peut paraître paradoxal , mais c’est à la naissance des mes enfants que j’ai ressenti une grande responsabilité. Notamment sur comment je les aurais introduits au vivant, aux autres espèces, au monde en général, pour qu’iels se sentent aussi partie de tout.
Antoinette Rychner – Écrivaine et dramaturge
Depuis maintenant quatre ans, je produis de la nourriture pour ma famille, sur un terrain autour de notre maison, dans la région des Franches-Montagnes. C’est une manière métabolique de me relier au vivant. J’ai sous les yeux le cycle des organismes que je vais consommer. Et j’ai également sous les yeux la réalité des “déchets” que nos propres organismes produisent : comme notre maison, isolée, n’est pas reliée aux égouts, nous avons construit une station de « phyto-épuration », qui fonctionne avec des roseaux.
Dans un contexte de société où le mode de vie dominant rend les productions invisibles (on ne voit ni où, ni comment sont fabriqués nos vêtements, nos machines etc., ni où et comment ils sont éliminés après usage), je considère qu’avoir conscience de la circulation de la nourriture, entre la terre, nos corps et retour, est un privilège ! Pour davantage d’info sur mon identité de néorurale :
https://nature-ecriture.ch/qui-suis-je#Id_03
Timothée Parrique – Chercheur en économie écologique

Quand j’étais plus jeune, alors que j’étais en train de surfer, je me suis retrouvé coincé dans un filet de pêche qui dérivait. Juste un pied d’abord et rapidement toute une jambe. L’océan était agité ce jour-là et, sans l’aide d’autres surfeurs, je n’aurais peut-être jamais réussi à m’en libérer. Ce genre d’expériences vient développer l’empathie écologique, la première étape vers la construction d’une véritable éthique de la sollicitude pour le reste du vivant.
Joëlle Salomon Cavin – Professeure d’écologie urbaine
Là encore deux réponses me viennent à l’esprit…
Je me sens reliée au vivant en voyant défiler les saisons (cueillir les groseilles et le raisin au jardin, regarder grandir le chêne). Mais mon expérience la plus forte a été celle de ma cohabitation avec des punaises de lit. A ce moment-là j’ai été la proie d’un animal qui m’attaquait dans mon espace le plus intime. Cet animal qui a fait de mon « chez-moi » son « chez lui » comme ça naturellement et sans obstacle.
Olivier Hamant – Biologiste et biophysicien
Quand on prend le temps de sentir l’air entrer et sortir de ses narines.
Claire Galloni D’Istria – Biologiste et chercheuse en anthropologie visuelle

L’expérience dont je porte la mémoire s’est déroulée au Kirghizstan, sur un alpage escarpé. Depuis deux mois nous vivions dans les montagnes, dressant chaque soir notre tente. Une nuit un cri m’a échappé, brusque, arraché à un rêve. Ce cri a surpris l’ours qui se tenait alors contre la paroi de la tente. La bête a sursauté, puis sa voix s’est levée. Un grondement énorme, râpeux, a roulé sur l’alpage.
La peur fut absolue, instantanée. Nos corps figés, mon visage inondé de larmes, et ce silence tendu, interminable. Puis, une phrase s’est levée : ici, je suis l’égale de l’ours. Dans ce face à face invisible, je me suis avancée intérieurement vers lui, je me suis faite ourse. Alors, contre toute attente, il a reculé. L’animal a choisi la nuit, reprenant sa marche.
Ce moment a déplacé pour toujours ma perception du vivant. Dans le cri de l’ours — aussi puissant, aussi menaçant fût-il — j’ai reconnu une résonance humaine. Et dans mon propre sursaut, dans ma manière de lui répondre, j’ai senti affleurer une animalité crue. Les places se sont échangées un instant, puis rendues : lui revenu dans la vastitude des pentes, moi contenue dans la frêle tente avec ma famille.
L’expérience m’a laissé une certitude : entre l’humain et le non-humain, les frontières vacillent. Elles se traversent parfois, comme des éclairs. Le sommeil, bien sûr, n’est plus jamais revenu cette nuit-là.
Antoinette Rychner – Écrivaine et dramaturge
Les ouvrages suivants nourrissent mes convictions personnelles, et le fond politique de mon roman :
Au commencement était, Une nouvelle histoire de l’humanité, David Graeber & David Wengrow.
Écoféminisme de Maria Mies & Vandana Shiva,
La Subsistance, Une perspective écoféministe de Maria Mies et Veronika Bennholdt
Terre et liberté, La quête d’autonomie contre le fantasme de délivrance de Aurélien Berlan
Timothée Parrique – Chercheur en économie écologique
Je vais recommander un livre d’économie pas comme les autres : Paresse pour tous (2021) d’Hadrien Klent. C’est un roman d’anticipation qui imagine la victoire d’un candidat aux présidentielles françaises qui défend l’idée de la semaine de 15 heures. Plus qu’une réduction radicale du temps de travail, c’est un conte philosophique qui explore un autre rapport au monde au-delà de la croissance, de la course à la productivité, et du consumérisme.
Joëlle Salomon Cavin – Professeure d’écologie urbaine
Le champignon de la fin du monde de Anna Tsing m’a beaucoup influencé et je trouve le Feral atlas très inspirant aussi. Le livre sur les Rebondissements du vivant de Lionel Cavin. Sinon la chanson “Un monde nouveau“ de Feu! Chatterton me paraît bien décrire notre situation. Enfin, je recommande l’écoute de la série de podcasts consacrés à Elisée Reclus sur France Culture cet été.
Marcel Barelli – Réalisateur d’animation et auteur
La politique sexuelle de la viande de Carol J. Adams. C’est un des livres qui m’ont le plus marqué et [qui a] fait évoluer ma façon de voir le monde et notre rapport aux autres (espèces).
Claire Galloni D’Istria – Biologiste et chercheuse en anthropologie visuelle
Eduardo Kohn, How Forests Think: Toward an Anthropology Beyond the Human [ndlr : traduction française : Comment pensent les forêts : vers une anthropologie au-delà de l’humain]
Donna Haraway, Quand les espèces se rencontrent
Olivier Hamant – Biologiste et biophysicien
Un très beau spectacle tout en douceur, en poésie et en sobriété, « L’ombre au piano«
La plupart des références citées sont rassemblées dans cette sélection.